L'équipe fondatrice du Labomatic : Sinclair, BoomBass, Bénédicte Schmitt et Dominique Blanc-Francard

L'équipe fondatrice du Labomatic : Sinclair, BoomBass, Bénédicte Schmitt et Dominique Blanc-Francard

Ingénieure du son et réalisatrice artistique reconnue, Bénédicte Schmitt co-pilote depuis 25 ans les studios Labomatic, fondés par l’ingénieur du son renommé Dominique Blanc-Francard, avec ses fils Hubert aka BoomBass (figure emblématique de la French Touch avec le groupe Cassius) et Mathieu, bien connu du grand public sous le pseudonyme Sinclair.

Bénédicte dans la cabine du Studio B

Bénédicte dans la cabine du Studio B

Dans ces caves mythiques du 8ème arrondissement, à deux pas des Champs-Elysées, Bénédicte a travaillé avec des artistes renommés tels que Benjamin Biolay, Brigitte, Stephan Eicher, Carla Bruni, Raphaël, Camille, Cassius, Marianne Faithfull, Jean-Louis Aubert, Françoise Hardy…
Toujours guidée par la curiosité, elle se consacre aujourd’hui à des projets indépendants avec des artistes émergents. Elle lance en 2014 un projet atypique : StudioSacàDos. Des voyages sonores, qu’elle réalise avec un studio ultra-mobile, s’invitant au plus près des artistes… Avec ce projet, qui a pris la forme d’un
podcast EnSacàDos, Bénédicte nous emmène là où le public ne va pas : au cœur de la création, de ses petites histoires qui fourmillent dans les cabines des studios d’enregistrements, dans les coulisses des festivals et des concerts. Sa dernière collaboration avec la Soufflerie et la pianiste Eve Risser, La carte aux pianos nous propose un portrait des pianos de la ville de Rezé, directement chez leurs propriétaires.

Jef Weber : Bonjour Benedicte. Merci de nous recevoir aux studios Labomatic. C’est un lieu chargé de bonnes vibrations, qu’on ressent bouillonnant de créativité et pourtant apaisant. Un havre de paix pour la création artistique au beau milieu de la capitale.

La cabine du Studio B du Labomatic

Bénédicte Schmitt : Bonjour Jef. Bienvenue aux studios Labomatic… lieu comme tu le dis bouillonnant de créativité, et chargé d’histoire ! Ce qui est étonnant, c’est que ces studios sont situés rue Washington : on est à 50 mètres des Champs-Élysées, c’est assez fou ! Mais il faut savoir que l'industrie musicale était concentrée autour des Champs-Élysées dans les années 60. Ces studios ont été créés par Denis Bourgeois, un éditeur musical qui a fait beaucoup de très beaux albums et a développé la carrière d'énormément d'artistes. C’était son studio de maquettes, et il allait faire ensuite le tour des labels pour placer les chansons qu'il y avait enregistré. Denis Bourgeois avait ses bureaux au-dessus, dans l'immeuble, et il a fait construire ce studio dans ses caves avec les moyens de l'époque… des moyens conséquents. Il y a même une chambre d'écho sous la cabine B, où l’on se trouve ! Malgré sa lettre, le studio B est le premier qui aie été construit en 1964. C’est dans cette cabine qu’a été enregistré Harley Davidson, de Serge Gainsbourg avec Brigitte Bardot. Enfin, les voix ont été faites aux studios des dames, si je ne dis pas d’erreurs, mais l'enregistrement des musiciens s’est fait ici. Début 70, Denis Bourgeois a pu récupérer le reste des caves de l'immeuble ; du coup il a agrandi, et a fait le studio A, qui est plus grand.

La room du Studio B du labomatic, pleine d'instruments

Actuellement, je partage l'ensemble de ces studios avec Dominique Blanc-Francard, et les co-pilote avec lui. Les Labomatic studios sont nés en 1995 : Dominique connaissait le propriétaire qui a exploité le studio de début 80, jusqu’à mi-90. Il lui a loué les murs, et avec ses fils, ils y ont installé leur Home-studio respectifs… dans les murs d’un ancien studio professionnel ! Ils ont commencé avec une 02R pour Boombass, une pour Dominique, une Promix pour Mathieu… et progressivement le lieu s’est développé.

J’ai rencontré Dominique fin 1996. A l’époque, je travaillais dans le Live en tant que régisseuse son, au Sentier des Halles. J’avais eu une expérience de studio avant, qui ne s’était pas bien passée, raison pour laquelle j’étais repartie vers les bonnes vibrations du spectacle vivant. Dominique venait commencer l’aventure des Labomatic Studios depuis 6 mois. Enfin, 6 mois de travaux et de rangements… Ils étaient en plein dans l’enregistrement de « La bonne attitude » de Sinclair, et je lui avais demandé de m’expliquer comment fonctionnait la 02R pour l’utiliser en live.

Je me suis découverte ici, je me suis rendu compte que le studio dont je rêvais pouvait exister. C’était vraiment un lieu de création, dédié à la musique. Il n’y avait pas de règles. Et comme c’était les débuts, c’était vraiment excitant. Très vite je venais pour filer des coups de mains, je suis devenue stagiaire, puis assistante, ingénieure sur des prises… et progressivement j’ai commencé à faire du mix. Quand Philippe Zdar a racheté le studio Motorbass, avec Hubert ils sont allés s’installer là-bas. La cabine B était libre, c’est devenu ma cabine.

Dominique et Bénédicte dans la cabine du studio A

Dominique et Bénédicte dans la cabine du studio A

Bien que nos cabines soient indépendantes, on a toujours des projets en commun avec Dominique. Il nous arrive aussi d’échanger nos cabines : le studio B est plus petit, mais il est équipé en Dolby ATMOS… Et si j’ai des grosses sessions Live à faire, avec beaucoup de monde, je vais aller travailler dans le A. Le son est différent et on choisit aussi l’espace, en fonction du son. Même si on est dans un studio, les deux pièces ont leurs aspérités : il y a plus d’air à côté, et c’est plus mat ici. C’est aussi ce que j’aime dans le son : capter les espaces.

UNE PASSION POUR LE SON

J : Comment es-tu devenue ingénieure du son, puis réalisatrice ?

B : Ça démarre assez tôt. J’ai toujours aimé bricoler, et lorsque j’avais 11 ans, ma mère m’a retrouvé dans ma chambre en train de fabriquer une guitare en carton ! Je lui ai aussi fait le coup des barils de lessive avec des plastiques tendus … Elle s'est dit qu’il y avait un truc, et le lendemain, elle m'a inscrite à des cours de guitare classique. J’en ai fait pendant deux ans à l'école de musique du village où j'habitais, à côté de Compiègne… Mais ce qui m’amusait, c’était de bidouiller les sons. Je me souviens d’un premier magnétophone à cassette avec un micro… un peu l'ancêtre de mes Zoom ! Avec ça, j'ai fait une création pour une copine, c’était un devoir à faire pour son prof de musique. J'avais mélangé des sons de jeux vidéo avec des sons de peigne, de guitare…

J : C’est déjà du sound design !

B : Voilà ! Et puis j’ai eu un magnétophone à bande, je ne sais pas comment… Un Philips, je crois. Avec celui-là on pouvait découper la bande. Puis ma guitare classique s'est très vite transformée en guitare électrique - une Aria Pro2, et un ampli à piles portable que j’avais commandé aux 3 Suisses.

J : ils proposaient des amplis guitare (rires) ? Je n’y aurais jamais pensé !


B : Oui ! J’avais un son horrible… Je vais sur mes 15 ans, je commence à jouer dans des groupes. Et là, on déménage. Je me retrouve un peu seule à Épernay, j’avais tendance à m'enfermer dans ma chambre pour bidouiller. Un ami de mes parents me revend alors son Revox A77, et je découvre l'enregistrement en ping-pong. En plus de la guitare, j’ai une boîte à rythme (une Rx21 je crois), une basse - que j’ai toujours…

J : Donc le but est de t’auto-produire ?

B : Oui, je m’amusais, j'appelais ça « My Revox Band ». Cet ami qui m'a revendu son REVOX avait un Korg M1, un Atari… je découvrais des choses super intéressantes. L’ampli des 3 Suisses a été remplacé par un Peavey classic 50 (que j’ai toujours !), j’ai eu une petite mixette aussi… Je commence à avoir pas mal de matériel, je fais de la musique à fond pour découvrir la technologie, faire des montages sur bande, enregistrer en ping-pong, utiliser les multi-effets.

Et là, j’obtiens mon Bac A1. Lettres et maths - on pouvait être littéraire et scientifique à l’époque ! Je me n'y attendais pas du tout, car je passais vraiment beaucoup de temps avec mon Revox ! Je n'avais pas prévu d'études derrière, persuadée que je ne l'aurais pas. Avec mes parents, on déménage de nouveau en région parisienne, au Perreux-sur-Marne, et je trouve une place en deug d’histoire de l'art à Nanterre. Je prenais la ligne A du RER et traversais Paris pour aller jusqu'à Nanterre Université. Mais je n'y arrivais jamais, parce qu’à Nation, je savais que je pouvais prendre la 2 pour aller à Pigalle voire les magasins de musique, ou à Châtelet… Là j'ai vraiment pris conscience que je voulais faire du son.

Gare du Nord, pendant un StudioSacàDos avec Mentissa

J : Tu t’es dirigée vers une formation dans le son ?

B : J'ai fait un contrat emploi solidarité de régie au théâtre du Sentier des halles, pendant trois mois. Je voulais faire une école, mais c’était compliqué : Louis lumière avec un Bac A1 ? Je pense que je n’aurais même pas pu me présenter au concours… Et chance, je trouve une école intéressante : le CFPTS (Centre de Formation Professionnelle des Techniciens du Spectacle, à Bagnolet), qui existe toujours. En 1992 ils avaient une formation sur 10 mois, « régisseur, options son », sous tutelle du ministère de la culture et homologuée BTS. Pour pouvoir me présenter, j’ai fait une mise à niveau en BEP électrotechnique dans un lycée technique à Nogent-sur-Marne - j’étais la seule fille ! Mais ça allait me permettre de passer le concours d'entrée du CFPTS. On était huit par formation…. Ce n'était pas la parité à l'époque, mais ils tenaient à ce qu'il y ait une fille par session, je n'étais pas la seule fille à m’être présentée au concours, on était plusieurs. Ce qui était intéressant dans cette école, c’est que c'était à la fois de la théorie mais aussi de la pratique. Le CFPTS, ce sont des professionnels qui interviennent, qui donnent des cours. Par exemple, le responsable pédagogique de ma formation était Thierry Balasse, qui est toujours en activité actuellement. Il a travaillé avec Pierre Henry, et maintenant il a sa compagnie de théâtre… c’est quelqu'un de passionné, je le vois toujours.

LES PREMIERS PAS PROFESSIONELS

J : Cette formation t’a permis de démarrer dans la vie active ?

B : A la sortie du CFTPS, je me retrouve assistante au studio Damien à Boulogne, qui n’existe plus. Un studio typique des années quatre-vingt, monté par des musiciens, avec une console analogue à 24 pistes classique… je crois qu’ils avaient un studer 24, et une Trident. Les studios Damien étaient aussi un gros prestataire d’instruments de musique, avec beaucoup de backline. Ça c'était génial ! Comme le studio était un peu en fin de course, j’y ai passé beaucoup de temps avec l’accordeur de pianos, je l’accompagnais faire des livraisons. Ma passion des pianos, de les démontrer, de comprendre comment ça marche, vient de là.

Cette première aventure studio s’est terminée quand le propriétaire m'a fait remarquer qu'il y avait des cendriers à vider, et l’aspirateur à passer. J'ai décidé de faire ma tête de mule : étant à mi-temps, je faisais mes 4 heures, et je partais. Et le jour où je suis parti en pleine séance, évidemment, le lendemain… j’étais virée. Là, le rêve du studio en a pris un coup !

Je suis donc retournée vers le spectacle vivant, de 94 à 96. Un peu tout ce qui passait : de la lumière sur un Kabuki (une pièce de théâtre japonaise) au théâtre Tristan-Bernard … Du son en tant qu’employée municipale à la salle Jacques Brel à Fontenay-sous-Bois, une super expérience aussi… Une tournée avec une compagnie de Théâtre de rue … Pour en septembre 96, retourner au Sentier des Halles ; et, cette fois, prendre en charge la régie. Et en décembre 96, c’est la rencontre avec Dominique.

Dominique et Bénédicte derrière une console

J : C’est là que tu vas progressivement rejoindre l’aventure Labomatic.

B : Mars 97, je pars du Sentier des Halles. Je m'étais bien amusée, mais j'avais envie d'autre chose. Ce n’était pas raisonnable, je n'avais rien derrière, mais je me lance. Coup de bol, peu de temps après, Dominique me demande : « est-ce que tu pourrais venir m'aider, il y a Stephan Eicher qui vient répéter ». C’était avec un quatuor à cordes, pour l’album « 1000 vies », car il faisait une émission de télé. Je me dis que c'est une blague, que je vais être dans un coin à faire de la soudure… je ne vais pas assister aux répétitions de Stephan Eicher. Et pourtant si ! Et une semaine après, je reçois un message de Dominique : « Béné, les suisses vont t’appeler, ils veulent te proposer de partir en tournée ».

Donc je me retrouve à avoir la responsabilité de monter le setup de la prochaine tournée de Stephan Eicher. Il me l’a proposé car il ne voulait pas quelqu'un de formaté, qui ait les codes de la sonorisation. Et Dominique lui avait vanté mon savoir-faire - chose dont je doutais énormément à l'époque. On avait monté un setup assez marrant avec Stephan, avec deux 02R, parce qu'ils voulaient diffuser dans les salles en quadriphonie. Sur scène il y avait un quatuor, et je m'étais payée le luxe de mettre des Schoeps sur les cordes - chose qu'un sonorisateur ne ferait jamais…. Mais la batterie étant une V-drum il n’y avait pas de pollution sonore. Chose novatrice, les musiciens étaient en ear (enfin, les ancêtres des ears…), afin qu’ils puissent chacun faire leur propre mix. C'était la volonté de Stephan, qui part toujours dans des trucs assez pointus ! Les systèmes Hear-Back n’existaient pas encore, donc on a utilisé des petites consoles de mixage Mackie pour chaque musicien. Et une énorme Midas aux retours, pour gérer les envois sur chaque mixette, comme ça les musiciens faisaient leur propre tambouille. Il y avait donc la V-drum, une basse, le quatuor, un set de claviers et trompette numérique, une trompette numérique Akai - un truc assez improbable…. Et Stephan, en guitare et voix.

L’église d’Engelberg

J : Ça devait être quelque chose à câbler !


B : C’était du délire ! Mais génial à concevoir, j’ai toujours les dessins de l’époque. Et surtout, on a fait un mois de répétitions à Engelberg, au Kursaal, là ou a été enregistré l’album Engelberg que j’ai écouté en boucle adolescente. Suivi de deux semaines de tournée en Suisse, puis un mois en France. C’était une expérience complètement folle : il y a des salles où l’on ne pouvait pas installer les enceintes derrière, d’autres qui, si on ne communiquait pas assez avec les backliners, installaient la grosse midas en façade et les 02R sur le plateau… Et, évidemment : ce n’était pas la jeune femme aux cheveux courts de 25 ans qui pouvait faire le son de face… Je découvrais les stéréotypes de la profession. Heureusement j’étais ultra-protégée par l'équipe de Stephan.

Évidemment, on enregistrait tous les concerts. La deuxième partie de la tournée en multipiste sur des ADAT, mais la première partie de la tournée c’était sortie console sur minidisc, et… ils en ont fait un CD.

J : De la sortie de console sur Mini-disc ?

B : Oui, car la sortie de console sonnait bien. C’était assez fou ! A la base j’enregistrais la sortie console pour la rediffuser dans les salles le lendemain. Pour étalonner mon système avec ce que j'allais y diffuser, et non pas sur un truc masterisé … ou sur de la musique qui n'a absolument rien à voir. Et ça, c'était assez intéressant. Et il y avait l’autre coté, tous les jours changer de salle, se réveiller sur un parking dans le bus, ne plus savoir où on est … Sans compter le peu de temps, le stress de devoir aller vite… Mais c'était passionnant !

Et donc en rentrant, je me dis « je crois que le studio c’est vraiment ça (que je veux faire) ». On arrive en mars 98, et démarre au Labomatic l'enregistrement de l’album « A la légère » de Jane Birkin. Dominique l'enregistre et le mixe, Philippe Lerichomme - le réalisateur historique de Serge Gainsbourg, qui connait Dominique depuis des années - le réalise, je suis assistante. Au début les labels pensaient que le Labomatic n’était pas un studio commercial, puis progressivement, ça s'est fait… Je rentre de tournée, et ça y est : ça démarre !

UN PIED DEDANS, UN PIED DEHORS

B : 1998 c’est également l'année ou Mathieu est sur la route avec « La bonne attitude ». La tournée se finit sur un Zénith : c’est la première fois que je me retrouve dans un car mobile. Je crois que c’était le Voyageur III, équipé d’enregistreurs Sony 3348, et j’étais derrière la console Neve, pour enregistrer. Les cars mobiles, c'était très pratique, mais quand même relativement lourd ! Et surtout c'étaient que des artistes avec un certain budget qui pourraient se le permettre. Sur ces enregistrements, il y avait souvent l'image en même temps, c’étaient de grosses installations.

Mi-2000, on a commencé à enregistrer « en démonté ». Je crois que la première fois, c'était sur un duo Jane Birkin-Miossec dans un théâtre à Brest. Et ça, j'adorais.

Le duo de F8 à la Cigale de Vincent Delerm

J : Peux-tu nous expliquer ce que c’est ?

B : « Enregistrer en démonté », c'est plutôt que de louer un car mobile, on met du matériel dans des racks, on emmène le matériel dans la salle et on s’installe dans une loge.

J : On monte, et on démonte.

B : Voilà. On met un splitter avec des transfos actifs sur scène, on récupère le signal qui vient du splitter de scène, on est dans une loge, on tire les câbles, on a des préamplis… Et on enregistre sur des DA88 - on enregistrait pas encore directement dans ProTools. Je me souviens, pour Jane, au Théâtre de l’Odéon, on avait des Millenia, des DA88… Alors, ce n’était pas très bien vu des cars mobiles, mais moi ça m’excitait vraiment de sortir des murs du studio, avec du matériel de studio. J’avais appelé ça le Labomobile : j’avais un fly tout fait, à roulette, qu’on emmène…

J : il y avait déjà une idée qui germait !

B : Il y avait déjà le truc, oui ! Là on est en 2003. Suite à des rencontres avec le label Virgin et EMI, et on se retrouve à travailler avec Raphaël, Benjamin Biolay, Camille… C'est aussi le début du 5.1.

Petit retour en arrière en 2001, les 02R sont remerciées, on rénove le studio, et la première série 5 arrive avec un système en 5.1 et on se lance à fond dans l’aventure du dvd audio, du super audio cd. On y croit à fond : ce truc est fabuleux… et on se retrouve à faire Biolay « à l'origine », Raphaël « Caravane », Camille « Le fil », du Jean-Louis Aubert… Là c'est vraiment une immersion. De 2004 à 2012, on a très peu dormi et c'était super excitant. Le studio est en permanente évolution. Il y a encore des enregistrements Live, avec des mobiles ou du démonté, mais certainement un peu moins. C’est l’immersion dans la technologie, dans le mix, dans la prise de son, c’est vraiment passionnant. Avec Camille, on s'est très bien entendus lors des mix de l'album « Le fil ». C’était un album intéressant dans la démarche, parce qu’elle l'avait enregistré dans la cave d’un ami, et… les démos sont devenus des Master. Et elle voulait reproduire l’ambiance de sa cave dans un studio. Là où ils avaient enregistré, il y avait une buanderie à côté, et ils entendaient la machine à laver tourner. Donc pour garder cette ambiance, on avait fait une boucle avec le son de la machine à laver, qu'on re-balançait dans une enceinte dans un coin du studio. En fin de compte, c'était purement psychologique parce qu'on ne l'entendait pas sur les voix de l’album. C'était pour l'ambiance, puis ça nous faisait marrer, c’est des trucs de geek… de freaks même !

Bénédicte pendant l’enregistrement des 36 heures de Saint Eustache

Toujours avec Camille, je suis allée faire des expériences à l'église Saint-Eustache, une nuit, le régisseur nous avait filé les clés. De la même façon, elle rediffusait des voix dans une enceinte, et je me disais que c'était génial ! Avec l'acoustique de Saint-Eustache, en prenant une distance entre l'enceinte, en plaçant des micros… Là on est en 2006, on est encore sur du matériel relativement lourd à emporter. C'était le sac avec les roulettes, le papier bulle pour pas que ça soit abîmé…

J : il y avait toujours cette idée d'avoir un pied dedans un pied dehors !

B : Oui, toujours, et quand c’est dedans, de façon non conventionnelle. Si un artiste dit « je voudrais enregistrer assis et avec un SM57 », moi je répondais présente. Par exemple, je me souviens de séances de cordes d'une cinquantaine de musiciens dans un gros studio Parisiens commercial avec Sinclair, qu’on ne pouvait pas faire au Labomatic. Sur place, on nous disait « d'habitude, on fait toujours comme ça », « on met l’orchestre dans ce sens-là », ou « on met deux micro pour 3 contrebasses ». Et pourquoi ? Il y a 3 contrebasses : on peut mettre 3 micros. La réponse était « mais on fait toujours comme ça ». Et au passage, évidemment, « la fille a dit que »….

CASSER LES CODES

B : Cette volonté de toujours casser les codes, je pense que ça vient de la formation du CFPTS, un peu couteau suisse. Je n'ai pas fait la SAE, je n'ai pas appris sur une console de studio - celle que peu d'élèves reverront après. C’était une formation spectacle, avec comme fil conducteur le son, il y avait un 8 pistes Tascam, la pratique c’était apprendre à monter sur un REVOX ou faire une conduite avec 3 REVOX avec les boucles, des séances d’écoute aussi où il fallait noter les instruments que l’on identifiait, ce genre de choses… C’était créatif. A partir du moment où on crée avec le son, que ce soit pour le studio ou la scène, c'est pareil. Il y avait un décloisonnement dans la formation et ils savaient que j'étais plutôt intéressée par le studio, mais ça ne les

Dominique à la réouverture des Labomatic Studios après le 1er confinement

dérangeait pas. Ils étaient même très étonnés qu'après je fasse du live, enfin bon… J’ai toujours eu ce côté électron libre. Je pense que Dominique aussi m’a transmis ça. Quand il a démarré, il construisait ses propres consoles. Le fameux Engelberg, en 90, ils vont à 2000 mètres monter un studio avec du matériel qui normalement n’était pas prévu pour ça. On n’enregistrait pas dans des endroits pareils, on faisait pas venir Manu Katché dans… le Kursaal, c'était la salle de bal du village, à l’époque ! De la même façon, quand Dominique monte le Labomatic, avec ses 02R, dans la profession ça jasait. Et c'est bien dommage… les recall étaient immédiat, et donc plus de temps disponible pour la créativité. Le nom Labomatic, c'est Sinclair qui l’a trouvé : ça veut dire « laboratoire automatique ». Le rêve d’Hubert et Mathieu, qui ont toujours grandi au milieu des machines de leur père, c’était de pouvoir arriver, d’allumer les machines et que tout marche, tout de suite. De se mettre derrière le micro, prendre la télécommande et s’enregistrer tout seuls… Donc oui il y a toujours eu cette envie de casser les codes, de déconstruire.

A WOMEN IN STUDIO

Bénédicte dans le studio B

J : Tu évoquais le fait d’être une des rares filles lors de ta formation. C’était pareil durant ta carrière ?

B : Quand j'étais dans le live au début, je me sentais très seule. Je ne lisais pas SONO magazine, je n'avais pas la tête dans les notices… et je ne croisais pas beaucoup de femmes. En sonorisation, c'était relativement dur. C’était « ne porte pas ça, tu vas te faire mal ». Ou bien, « ah, c’est une fille au son »… et on voyait le musicien qui faisait la tête… c'était assez compliqué.

J : Tu penses que ça a changé ?

B : Ça évolue, il y a beaucoup plus de femmes en live, en backline, sur les plateaux. Il y a beaucoup plus de femmes présentes avec des instruments… Mais le studio reste un endroit clos et masculin. Je suis en train de monter justement une équipe de jeunes ingénieur-e-s assistant.e.s pour le Labomatic, dans cette équipe on va au-delà de la parité. Il y a 3 jeunes femmes, et un jeune homme. Plus on verra de femmes dans les studios, plus les musiciens auront l'habitude, plus les femmes vont appeler des musicien-nes… et les choses changeront.

J : ça reste un sujet d’actualité. Il est notamment porté en ce moment par le collectif More women on stage…

B : Je travaille avec le groupe Ottis Cœur, dont j'ai enregistré, mixé et co-réalisé leur 2 EP. Elles ont ça derrière leurs guitares. Et je connais très bien la personne qui a créé « More women on Stages », la bande Pogo Car Crash control, avec Margot, Ottis Cœur… Et c'est super important. Et moi je leur dirais : More Women in Studios, aussi ! Et ça, ça commence et c’est chouette. Il y a un an quand on démarrait les enregistrement du deuxième EP de Ottis Cœur, pour la première fois de ma carrière je me suis retrouvée qu’avec des femmes en studio… Ça ne m’était jamais arrivé avant. Juste avant le confinement, en décembre 2019, je m'étais retrouvée avec 4 femmes dans la cabine, et deux musiciens hommes à qui on disait ce qu'ils devaient jouer. Et c'était très drôle, parce que on y allait à cœur joie… et c'était aussi la première fois. Mais c'est aussi générationnel. Les jeunes qui ont 20-25 ans aujourd'hui, pour eux, c'est normal.

Ottis Coeur EnSacàDos à la Boule Noire

J : C’est le principe d'exemplarité. Comme tu le tu disais tout à l'heure, plus on voit de femmes présentes sur scène, derrière les consoles ou dans les coulisses… plus c’est normal.

B : Voilà, exact. Il faut aussi qu’il y ait plus de femmes avec des postes importants. Si la directrice artistique est une femme, elle se sent plus à l’aise pour appeler des ingénieures du son femme…. Moi j'ai constaté que certains hommes ont du mal avec ça. C’est générationnel et une question d’éducation… Et même lorsque qu’une femme se retrouve à diriger un homme, parfois on sent l’artiste masculin un peu mal à l’aise. Il en fait un peu des tonnes parce qu’il travaille avec une femme… Et tu as envie de leur dire : mais fais comme si c'était Dominique ! Après, ça passe.

J : Il a y des habitudes à prendre.

B : Ce qui est intéressant aussi, c’est de voir aussi le côté positif sur les hommes, qui ne sont plus obligés d'avoir le rôle de gros bras, qui peuvent laisser aller leur sensibilité… Et c'est bien, surtout dans le domaine artistique. Pour autant, si un artiste me contacte pour travailler avec moi parce qu’il cherche la sensibilité d'une femme, là ça commence très mal…!

J'ai fait un séminaire d'écriture en studio "She is the Music" pour Universal Publishing, uniquement avec des femmes entre elles. Très vite, on s'est rendu compte de la liberté que ça a amené de n'être qu'entre femmes. C'est-à-dire on n'a plus rien à prouver, pas à se justifier en permanence… pour les artistes, c'était une libération géniale.

Margaux d’Ottis Coeur pendant l’enregistrement du 2 eme EP

J : Ce qui prouve qu’il reste des difficultés. Si il y a un avantage à ne se retrouver qu’entre femmes, c’est que tout est loin d’être réglé.

B : Il y a encore un énorme travail à faire. Il ne fallait pas qu'il y a d'hommes dans le studio : c'était vraiment le principe. Les assistants du studio, qui étaient très gentils, passaient nous voir et nous demandaient si on avait besoin d’eux… si je savais comment marchait l'API, alors que j'ai des tranches au Labomatic ! On leur répondait qu’on pouvait se débrouiller… on connaît ! Tout ça était évidemment très sympathique. Lors de ces sessions, j’ai rencontré deux assistantes/stagiaires - deux jeunes femmes compétentes, qui font maintenant partie de l'équipe que je suis en train de monter, au Labomatic (Je me disais qu’elles sont vachement compétentes. Et je les ai poussées).

D'ailleurs dans ce séminaire j’ai aussi croisé une jeune artiste, qui était venue au Labomatic avec son grand-père. Déjà : je prends un coup de vieux (rires) ! En discutant, et elle me dit que lorsqu’elle est venue au studio, en me voyant travailler : elle s’est dit que c’était possible. Que durant le confinement, elle a piqué la carte son de son père, elle s'est mise à faire de la musique.

J : L’exemplarité, encore une fois.

B : Voilà, et c’est absolument génial. Maintenant, chose que je n’aurais faite il y a cinq ans, j’accepte de participer à des tables rondes et de me mettre en avant là-dessus. De témoigner, et de dire « c'est possible ». Ce que je disais à cette fameuse table ronde, c’est que si votre fille veut jouer de la batterie… offrez-lui une batterie à Noël. Et surtout : pas rose !

J’ai participé au super podcast de Flore Benguigui qui s’appelle « Cherchez la femme ». La première partie, c’était avec Kathy Sander, une Américaine dans le Live, qui a travaillé avec Prince. C’était super intéressant… et la 2e partie, je témoigne. Là, j’ai pris conscience que je n’avais pas de modèle. On n’avait pas internet pour aller geeker, les magazines étaient faits par des hommes, et on y voyait que des hommes… Il n’y avait pas de femmes journalistes dans le milieu technique, donc : les hommes s’adressaient aux hommes.

ÉCOUTEZ LE PODCAST "CHERCHEZ LA FEMME" - Des femmes ingénieures du son, partie 1/2

ÉCOUTEZ LE PODCAST "CHERCHEZ LA FEMME" - Des femmes ingénieures du son, partie 2/2

DU VOYAGE SONORE AU SAC A DOS

Bénédicte et Son Sac à Dos original à Pleyel en 2018

J : Peux-tu nous en dire plus sur le StudioSacàDos, et comment t'en est venu l'idée ?

B : A partir de 2012, la crise arrive dans l’industrie du disque. On a compris que le 5.1 était fini, et les modes de changent. J'avais passé 7 ans dans la cave, et à force d’enchaîner les séances, c’est installée une certaine usure... On peut perdre le truc, et je voulais retrouver ça, cette excitation. J’avais envie de voir un peu la lumière, de prendre l'air et de retrouver le plaisir de m'amuser avec le son.

En 2014 le label No format! avec qui je travaille régulièrement, fête ses dix ans au café de la danse. Je propose à Laurent Bizot, le créateur du label, d’enregistrer le live : ce sont les prémices du StudioSacàDos. Je prends mon laptop, un câble USB, un enregistreur… Je repensais à ce que je faisais avec le voyageur III sur les live de Mathieu, ou j’étais dans le camion sur les quais à côté de l'Olympia ; là, je suis dans la salle à côté de la console, au milieu de l'action. Le laptop mes genoux et je suis en train de récupérer le multipiste de la façade : c’est génial !

J : L’époque favorise ça. Les Laptops sont de plus en plus portables, autonomes…

B : Oui tout devient possible. Et j’y vais en Métro, à Vélo ou à pied ! Ça n’est pas trop lourd, c’est juste super.

En 2016, mon petit frère qui était journaliste m'offre un super sac-à-dos qu’il ramène de Londres, avec lequel je vais faire mes enregistrements nomades. Là ça commence à devenir sérieux, j'en fais plus en plus. Je collabore avec un collectif qui s'appelle La Souterraine, qui organise des fêtes un peu partout dans Paris, dans des lieux complètement atypiques. Ce ne sont pas des salles de concert, mais des bars, au Zorba, dans un sous-sol à Belleville… ils trouvent même le moyen de se faire prêter la gaîté lyrique ! Des trucs assez fous, avec des artistes émergents et indépendants. J’enregistre ces fêtes souterraines, et je commence à me balader dans les coulisses avec des micros. Je me dis que c'est marrant de faire un reportage audio. Je ne veux pas qu’il y ait d'image et de voix off.

StudioSacàDos d’une fête Souterraine

J : En plus de l'enregistrement de la soirée ?

B : En plus de l’enregistrement de la soirée, et du coup le concert devient un peu une excuse. Du concert, je ne prends que les meilleurs moments, mais je m’intéresse à de ce qui se passe avant et après.

J : Ce que les gens ne voient pas et n'entendent pas.

B : Exactement, et si le son du concert n’est pas génial dans la salle, je le prends tel quel. Je le capte avec ses aspérités. La personne qui écoute entendra le son, comme si elle avait été dans la salle.

Je trouve ça super excitant, et ça prend forme : j’appelle ça les voyages sonores. Et c’est là je pense que le nom «StudioSacàDos » arrive. J'ai toujours mon activité au studio Labomatic, les labels commencent à enregistrer des sessions live, des sessions filmées, ce genre de choses… Souvent ils ont un son tout pourri. Moi, je prends les micros du studio, je peux aller faire un StudioSacàDos avec le U87 qui vient des studios Barclay, un MD451…

J : Est-ce que ce sont les artistes ou les labels qui font appel à toi ? Ou est-ce quelque chose que tu inities ?


B : Au début c'était moi, pour des gens avec qui j'avais des affinités. Comme avec La Souterraine, moi ça m'a amusé, eux ça leur servait de promo… ça devenait un média, un support. C’étaient les prémices du podcast : on n’en parlait pas encore beaucoup.

Soundcloud des fêtes Souterraines

HOSHI EN SAC A DOS

B : Entre 2016 et 2018, je fais beaucoup de voyages sonores, et les labels m’appellent. Un des StudioSacàDos les plus fous j'ai fait, c'est pour Hoshi, sur son premier titre Ta Marinière. Son label m'appelle pour l'enregistrer en acoustique dans une salle de danse, rue de Ménilmontant. Il y avait donc Hoshi, guitare, voix, piano, violoncelle, et cor anglais. On avait répété la veille au studio, parce qu'on avait très peu de temps pour cet enregistrement qui était également filmé.

StudioSacàDos avec Hoshi pour la version acoustique de « Ta Marinière »

StudioSacàDos avec Hoshi pour la version acoustique de « Ta Marinière »

J'avais utilisé le Zoom F8, j'avais pluggé dessus les câbles et micros que j'allais avoir dans la salle de danse : mon set était déjà prêt. Quand on est arrivés dans la salle on s'est très vite installé. Cette session se fait, le label est super content du résultat, et ce titre, Ta Marinière, commence à rentrer en radio. Et ils disent que cette version acoustique a un super son, et qu’elle pourrait elle aussi rentrer en radio. Donc sur cet enregistrement nomade, qui devait rester comme ça, un batteur a joué par-dessus et on en a fait une nouvelle version… c’est devenu la version acoustique « studio » de Ta Marinière ! Qui est prise en live avec le F8 en mode sac à dos, et qui je crois à eu autant de diffusions radio que la version de l'album… ça c'est génial !

HOSHI - "TA MARINIÈRE" sur YOUTUBE

LE FESTIVAL VARIATIONS

StudioSacàDos Festival Variations

B : Toujours par l'intermédiaire de La Souterraine, je rencontre Cyril Jollard, qui à l'époque était programmateur du Lieu Unique à Nantes - une salle de concert absolument fabuleuse. Cyril me donne carte blanche pour réaliser un voyage sonore sur le festival Variations, un festival autour du piano (qu’il organise). Il me donne le programme, et me dit de choisir ce qui me plaît. C'étaient 3 jours de balades : il y avait un concert à la cathédrale, après au théâtre Graslin, après au Lieu Unique… Avec des artistes qui allaient de l'accordéoniste aveugle, à des groupes de La Souterraine, en passant par une pianiste Suisse, une artiste contemporaine qui jouait sur des ondes complètement folles, une Américaine, Charlemagne Palestine, Freaks qui fait rentrer 2 Bossendörfer en résonance en faisant un LA… ils ont même fait un vinyle de cet enregistrement-là… ! 3 jours complètement fous. Et après je pense un bon mois de dérushage, à écrire ce voyage sonore. C'est enregistré de façon totalement nomade, je prends beaucoup de notes, pendant, et après je resynchronise le tout, je monte, j'édite, je travaille le son… et cetera.

Soundcloud du Festival Variations

LA COVID ET LES VOYAGES IMAGINAIRES

StudioSacàDos Clara Luciani Théâtre de la Loge

Je continue à faire de plus en plus de voyages sonores, et : arrive la COVID, en 2020. Je pars me confiner à Trouville avec mon disque dur, tous ces enregistrements nomades de 2014 donc à 2020. J'avais échangé avec le Printemps de Bourges, en 2018, pour faire un StudioSacàDos sur les iNOUÏS, ce qui n’avait pas encore pu aboutir. Le Printemps de Bourges n'ayant pas lieu en 2020, ils lancent un Printemps Imaginaire, en ligne. Je regarde la programmation qu’il aurait dû y avoir (en 2020), et je me rends compte que tous ces artistes… je les ai déjà enregistrés en mode sac-à-dos ! Team Dup capté à Pleyel, Malik Djoudi (c'était) au Trianon, Clara Luciani au Théâtre de la Loge… Je ne sais même pas si son premier EP était sorti. Car en plus des soirées souterraines, il y a eu aussi beaucoup d'enregistrements de soirées organisées dès l’été 2017 par Mélissa Phulpin au Théâtre de la Loge : c’étaient les premiers concerts de Clara Luciani (ci-dessus en photo), de Juliette Armanet, de Fishbach, de Léonie Pernet… Du coup, j'appelle Boris Vedel du Printemps de Bourges et lui propose de faire un « voyage imaginaire » sur le Printemps de Bourges, avec toutes les archives de ces artistes. Il me répond : « super Bénédicte, mais il faut une voix off qui guide l'auditeur ». Jusque-là je ne voulais pas de voix off. Pour moi, c’était le son, le guide. Pourtant, une voix c’est un son ! Mais je ne voulais pas de quelqu’un qui explique. Par contre, je commençais à utiliser ce que pouvaient dire les artistes dans les loges, pour guider l’auditeur.

J'avais beaucoup échangé avec la journaliste et chroniqueuse musicale Rebecca Manzoni sur ces enregistrements nomades. On s'entend bien, et je savais qu'elle était confinée avec son enregistreur, elle faisait toutes ses voix dans sa cuisine. Elle accepte de jouer le jeu. J'écris un texte, et elle y rajoute sa patte et fait la voix off qui guide l'auditeur dans les rues de ce printemps de bourges imaginaire. On a fait ça en une semaine : c’est le premier voyage sonore, avec une voix off. Je prends conscience que la voix off, c’est important… mais je suis incapable de la faire à ce moment-là.

Au niveau de la réalisation, je me rends compte de l'importance des silences, des aspérités dans le son… et de l'importance de la voix. S’ensuivent les confinements successifs, les salles de concert qui ne rouvraient pas… le truc mijote. Et je lance cette série qui s'appelle « en sac-à-dos » : suivre un artiste sur une journée, sur un évènement particulier. On est en 2021, et je le propose aux artistes.

Soundcloud du voyage imaginaire au Primptemps de Bourges

POMME EN SAC A DOS A L’OLYMPIA

StudioSacàDos Pomme à l’Olympia

B : Je vois que Claire (Pommet, aka Pomme, sur la photo à gauche), fait son premier Olympia. Je connais Claire grace à Hugo Pillard (aka Trente) qui réalise tous ses clips, je travaille avec lui son album et tout le reste de cette bande aussi. Je vois la bienveillance qu’il y à entre eux, et le truc fou qu’il sont en train de vivre me fait penser au premier Zénith de Mathieu, en 98.

Je leur propose de les suivre sur cet Olympia La veille de l'enregistrement je prépare mon paquetage. Il y a un cérémonial : j'ai des petites boîtes en bois. Dans une boîte, il y a tous les enregistreurs, que je choisis en fonction de la situation. Dans l'autre, les câbles, avec les batteries. Dans une troisième boîte tous les systèmes d'accroche… et après, j’ai des petites trousses en mousse, ou je vais rassembler le matériel. Enfin, je mets ces petites trousses dans le sac à dos, je prends les câbles, et je pars.

Avec l'expérience que j'ai de la scène, je me connecte tout de suite avec l'ingénieur du son en façade, aux retours, les gens du plateau… j'ai tous les codes et je sais quand il faut disparaître, quand il faut se faire petite ou pas. Et j'adore me retrouver sur la scène de l'Olympia, dans les coulisses. Le scénario s’écrit au fur et à mesure. Évidemment je n'ai pas le multipiste, et ce n'est pas le but. Il y a des extraits du concert, mais jamais un morceau entier. Le but, c'est vraiment la construction de la journée, et de permettre à l'auditeur de vivre le moment, côté artiste. Par exemple, le Catering de l’Olympia est tout au fond d’un couloir dans une pièce… c’est pire qu'une chambre d'écho ! Je ne comprends pas qu’ils ne se soient jamais dit que c'est ultra fatiguant pour les artistes, et leurs équipes qui se sont réveillés à 8h, ont déchargé, tout monté… de manger dans cette volière ! Ça pète les oreilles tellement ça fait mal ! Et je suis allé enregistrer là-bas, exprès, car ce son est incroyable.

Et après, à l’Olympia il y a l’ascenseur qui parle, les couloirs, les portes qui grincent…

J’avais fait un voyage sonore avec Vianney à Bercy, et en voulant enregistrer les fans qui attendent autour, je me perds dans les coulisses…. Ce sont des choses et qui sont très drôles parce que j'enregistre toujours. Le son des pas dans un couloir, je trouve ça génial, on sent vraiment les espaces.

Derrière les portes de l'Olympia, avec un F1 + XY

J : A ce sujet d'ailleurs j'avais noté qu’il n’y a pas de voix off, et tout est raconté exclusivement par l’immersion sonore. Tout est constitué d’instants captés sur le vif, de répétitions, d’interviews et quelques dialogues… Le son est chargé de décrire l'agitation, où le calme avant la tempête, le repos….

B : A un moment par exemple, il y avait beaucoup d’effervescence dans la loge de Pomme. Là, je me dis que je dois les laisser entre-elles. C'est juste avant le concert, c’est le moment où elle se lâche, se concentre, elle déconne… Je sors, et je ne sais plus ce qu’elles mettent comme musique à fond… je crois, LIBERTINE de Mylène Farmer.

J'entends ça par la porte de la loge, et je colle mon F1 avec le XY contre la porte de la loge. Là, je vois un vigile qui me regarde, l’air de se dire que je suis complètement folle. Je trouve ça génial d'entendre la musique qui vient de l'autre côté de la porte. On comprend qu'on n’est pas dans la pièce, et qu’il se passe quelque chose d'intime.

Soundcloud du sacàdos de Pomme à l'olympia

Il y a sur ce « pomme en sac à dos à l'Olympia. », toute l’effervescence de la journée, des répétitions… je me souviens d’un rideau qui ne tombait pas au bon moment…. Pendant les répétitions, une jeune femme très sympathique me salue : je réalise que c'est Angèle… La bienveillance qu’il y a qui a entre elle et Claire, l'excitation des musiciennes en coulisses… Pour ce concert, j'ai passé plus de temps en coulisses. Et d'ailleurs l’interview d'Angèle, je l'ai faite pendant le concert. Je sais que mes Zoom placés un peu partout tournent, je peux aller me balader.

Bénédicte Schmittingénieure du son et créatrice sonore
Pomme et Angèle font leur balances à l'Olympia
Pomme et Angèle font leur balances à l'Olympia

Pomme et Angèle font leur balances à l'Olympia

UN ŒIL DANS LE PAQUETAGE

J : Peux-tu nous en dire plus les enregistreurs que tu as déployé pour ce « Pomme en sac à dos à l'Olympia» ?

B : En préparant mon package, je savais qu'il y avait Hugo qui allait me servir de « pied de micro ». Je savais qu’il allait se balader partout : il peut être à côté de Claire à des moments ou moi je ne serai pas, Il connaît l'équipe… Donc il va se passer quelque chose que moi je n'aurai pas. Et pendant ce temps-là, je peux faire autre chose. Avec Hugo on s'était donné rendez-vous devant l’Olympia. Dès qu’il sort du taxi avec Claire, je lui met un F1 dans la poche, avec un micro-cravate, alimenté avec une batterie. Un de ces chargeurs de téléphones, le plus petit possible pour pas que ça ne l’encombre trop… et des piles. Ça c'est le truc de base ! Si la batterie se déconnecte ou se vide, on passe sur les piles et on perd pas l’enregistrement.

Bénédicte et son Q2n-4K

J : C'est d'ailleurs un bon truc à donner à tous ce qui te lisent !

B : Je le conseille fortement, oui ! Et des accus rechargeables.

Après j'arrive, il y avait déjà de l’effervescence sur le plateau. J’installe un Q2n, que j'utilise sans l'image. J'aime bien sa forme de petite boule, avec ses préréglages… Je le règle en 24/48, et j’ai des adaptateurs pour pouvoir le mettre sur un pied de micro ; car il vaut mieux quand même le placer sur un pied vu le monde qui passe sur le plateau, il peut vite être shooté et broyé. Je lance, et je prends des notes via l'application notes sur mon iPhone.

J : à l’écoute de l’épisode on sent une vraie écriture. C'est quelque chose que tu fais pendant, le scénario ?

B : Le scénario s’écrit pendant. Je capte un peu les ambiances, je capte ce qu’il se passe. Et lorsqu’il s'est passé un truc intéressant, je prends en photo le Timecode de l'appareil, et je l'importe dans l’application « notes ». Et j’écris, par exemple : « le rideau n'est pas tombé ». Je fais ça au fur et à mesure, ça me donne mon fil, ça facilite énormément le dérushage… parce que ça c'est un truc de malade.

J : Surtout avec plusieurs appareils qui tournent, ça représente des heures et des heures d’enregistrement…

B : Sur ça aussi, la rigueur du travail d'ingénieur du son en studio d'enregistrement – et surtout quand on apprend avec Dominique Blanc-Francard, m’a beaucoup apporté. Dès que je vide une carte dans mon disque dur, je vais avoir un dossier par appareil. Si c’est sur plusieurs jours : un dossier par jour ET par appareil. Au bout d’un moment, avec les cartes… on se perd. C'est super important d'être bien organisé, et de ne pas paniquer. S’il y a un truc qui ne démarre pas, où qui n’a pas enregistré… ce n’est pas grave. Il y en a d'autres de toutes façons !

StudioSacàDos Ottis Coeur et Magenta à l’Olympia

Donc pour revenir à l'Olympia de Pomme : le Q2n est posé sur scène, Hugo est équipé du F1 et sert de pied de micro. La régie son est au premier balcon, et je me dis que je vais mettre un micro qui prend en Ambisonique. J’avais dans mon sac à dos un Senheiser Ambeo, que j'ai mis sur pied en régie, à peu près le plus possible au centre, entre le sonorisateur et l'éclairagiste : il prenait tout le balcon derrière. J’enregistrais les 4 lignes de l'Ambeo dans le Zoom H8, qui a le réglage de gain lié comme sur le F8… et qui est léger, avec un côté « LEGO » que j’aime bien… Avec son extension 4 entrées qui remplace le microphone, ça fait 10 pistes ! Tout en étant ultra-portable.

Sur le H8 en régie, il y avait aussi le MS en ambiance supplémentaire, et la sortie de console, connectée sur les deux entrées lignes avec deux XLR Femelles. Chose que maintenant je vérifie : car j'ai eu une fois une surprise, c'était sur Tim Dup à Pleyel où je prenais la sortie de console avec le F8, et j’avais demandé à l'ingénieur du son façade de m’envoyer par une matrice les instrumentaux, et la voix à part. Ca n’était pas un multipiste, mais ça me permettait quand même de retravailler et d'obtenir un résultat cohérent. Sauf que - je ne sais pas ce qui s’est passé - quand j'ai fait mon des dérushage, dès le 2e titre je n'avais plus la voix… (rires). Bref, dans le cas de Claire je prenais la sortie console ; et en plus ce n’était vraiment pas le concert l'objet important, j'y allais vraiment pour les ambiances.

A partir du moment, où le H8 est en régie, il tourne, il fait sa vie. Là, je sors mon monopode, je mets dessus le F1 avec le XY et je me balade, toute la journée. Ayant la connaissance d’une journée concert, je sais le moment où je peux solliciter Claire pour une petite interview, qui été totalement improvisée dans sa loge.

J : C’est à ce moment qu'elle se confie sur ses doutes par rapport à cette soirée, le report dû au Covid, et le stress… Et c'est un moment fort, tu es intervenue vraiment au moment où elle était disponible.

B : L’interview dans la loge se fait comme ça. Je n'ai pas de cravate sur le F1. J'ai mis le pied avec le F1 et le XY devant elle, et enregistré aussi le son de la loge, je ne voulais pas qu'on se retrouve tous d’un coup dans un truc aseptisé. Pour Angèle, c’était pareil.

StudioSacàDos Souffle Collectif au Consulat

Arrive le moment où on nettoie le plateau, et on bascule vers l’arrivée du public. Et là, pour l'équipe c’est un moment de détente, ou ils vont manger. Moi je retourne sur scène. Je prends le Q2n, je le mets sur un stand, à l’avant-scène, là où il y a ce petit couloir ou les photographes vont shooter, Il se retrouve là où il y à la barrière avec les gens collés : je réalise que je peux vraiment avoir un son de malade. Par contre je ne suis pas allée dans la salle pendant le spectacle cette fois-ci, parce que ce n'était pas justifié. Je voulais vraiment choper ce qui c'est passé en coulisses, entre ses musiciennes qui sortent, Angèle qui arrive… J'ai par exemple le début du concert quand son régisseur va la chercher dans la salle, l’emmène de sa loge, prend le couloir, le moment juste avant et ou, « pouf on y va ». Et ça c'est magique. C’est moments que les gens ne voient et n’entendent jamais.

J : le public peut assister au concert, et toi tu complètes l’expérience.

B : Il pourrait y avoir la tentation de faire aussi l'after, la fête et tout… Mais j'essaie de m’arrêter là, parce que c'est un peu hors sujet. L’après appartient à l'artiste et à son équipe. Et puis surtout je suis fatiguée, ce sont des très grosses journées, ça demande beaucoup de concentration et d'écriture…

J : Oui car tu es en train de prendre des notes, de surveiller tout ce qui se passe pour être au bon endroit.

B : Exactement, c’est physique mais c’est passionnant ! Après la sortie de scène et avoir récolté les impressions d'artistes, très vite je récupère tous les Zoom. Parce que quelquefois quand ça démonte ça peut aller très vite. Et pour l’avoir fait, je sais que quand tu plies ta console façade, que tu la mets dans le flight, le petit Zoom connecté dessus ça te saoule un peu. Je range tout dans les petites housses, je n’oublie rien… Je n'ai jamais rien perdu.

J : L’appareil est important, mais le principal, c'est de ne pas oublier les cartes !

B : Si c’est sur plusieurs jours ça m’arrive de ne prendre que les cartes avec moi pour les vider, mais je laisse les appareils, qui sont placés, parce que c’est safe, dans le bureau de prod, fermé…

Après c'est vider les cartes, tout renommer et mettre dans des petits dossiers comme je l'expliquais, et dérusher, faire une session ProTools, tout importer et tout resynchroniser.

StudioSacàDos Souffle Collectif au Consulat

J : Est-ce qu’avoir plusieurs appareils différents pose des problèmes synchronisation ?

B : Comme je monte, ce n'est pas un souci. Et, même, ça m’arrive de ne pas exactement remettre en Phase, parce que ça peut donner une sensation d'espace. Et c’est important de conserver ça, car : ce micro-là était au fond de la salle, sa forme d’onde ne doit pas être calée sur celle qui était sur le plateau. Et, petite parenthèse, même dans l'enregistrement d'une batterie en studio, ce n'est pas obligé de mettre en phase ses Overhead avec le son de la snare… même si on l'a appris à l'école ! C'est bien de laisser de l'air et de la distance de chaque micro.

Le dérushage, c'est un peu fastidieux. J'ai mes notes, je commence à mettre des marqueurs. Je sais que sur le zoom à telle heure de tel enregistrement, il se passe quelque chose… et je me rends compte que ma note était bonne ! On est content aussi quand la photo n'est pas floue, qu’on voit le time code… Et je réécoute, surtout, je découvre des choses que je n’avais pas entendu.

J : Tu réécoutes tous les rushes ?

B : Je les réécoute en fonction des formes d'ondes. C'est ça qui est génial, le fait de visualiser, ça sert.

J : Combien de temps prend un dérushage,comme celui de « Pomme à l’Olympia » ?

B : Avec les notes que j'ai, et avec l’expérience… C'est une journée. A la fin de la journée, j'ai ma session, avec tout le déroulé de la journée. Avec mes notes, je commence le grand découpage. Et j’ai toujours besoin d'avoir une petite entrée, c'est assez flagrant sur celui de de Claire. Je fais toujours un petit truc avec plein de sons dans tous les sens, l’interphone, les bruits des couloirs, les gens qui rigolent… Une petite intro générique. J'ai besoin de ce petit truc qui stimule pour la suite, et une fois que je l’ai : ça se fait assez naturellement. Tout est plus ou moins déjà écrit, il y les longueurs à gérer, car il ne faut pas que ce soit trop long. C'est beaucoup d'allers-retours, d'écoutes, et dès qu’il y a un côté un peu redondant, ennuyeux, où on décroche… J’élague pour ne jamais perdre l'auditeur.

J : Toute cette phase de montage prend longtemps ?

B : Au début, ça me prenait beaucoup de temps, notamment celui du festival variations parce que je le mixais en Ambisonique. Dans le cas de l’Olympia ce n’était pas le cas. Ça m’a pris, je dirais, peut-être quatre jours ? Mais, quatre jours d'amusement, et à la fin je refais une passe de mix. Mais je ne veux pas non plus aller trop loin, faire quelque chose de trop léché. C’est une photo du moment, un reportage sonore avec la voix de l'artiste qui peut guider.

Là c’était sur la forme d'un concert, mais je viens de faire un « En Sac à dos » sur la création de l’album Bedroom Walls de November Ultra. Dans ce cas-là il y à l'exercice de l’interview de l'artiste, il y a de la voix off… Et l'artiste a mis à ma disposition des démos de son album. Clément Roussel, qui à mixé l’album m’a filé les instru, les PBO, les masters… Il y a plus de prod, dans ce cas-là.

Naissance d'un album [Bedroom Walls] de November Ultra sur Spotify
Pendant l’enregistrement du Voyage Sonore de Kaamelott Photo @Fred Mortagne

Pendant l’enregistrement du Voyage Sonore de Kaamelott Photo @Fred Mortagne

VOYAGE SONORE AU ROYAUME DE LOGRES

B : En août 2020, Marc Cardonnel un producteur et directeur artistique m’a proposé un projet complètement fou. Une carte blanche pour réaliser un voyage sonore sur l’enregistrement de la BO DE KAAMELOTT : PREMIER VOLET. L’idée était de Marc, que j’ai rencontré d’ailleurs sur un StudioSacàDos avec Gaspar Claus et Gasper Closen à l’Eglise Saint Merry. Bref, Marc m’explique qu’Alexandre m’invite pendant 3 jours à l’auditorium de Lyon avec l’orchestre - et je peux enregistrer où je veux ! Le rêve !

Je pars avec 2 sacs bien garnis à Lyon : les 2 F1, le F8, le H1, le QN2, un H6 aussi et bien sûr le micro Ambisonique Sennheiser et le smart ambéo via l’appli Apogee sur l’iphone. Alexandre était dans la salle face à l’orchestre, un studio était en sous sol et moi je me baladais

Bénédicte et son F8 au milieu de l’Orchestre

partout je prenais la sortie de console sur le H1, une ambiance control room et spare sortie de console sur un H6, sur le plateau j’avais placé l’Ambéo et les F8 au centre de l’orchestre, derrière les cordes est devant les bois et les vents avec au fond les percussions. Alexandre, lui, avait un F1 avec un XY face à lui, et le chef lui passait par les enceintes de la salle et un son bien aratone en bas.

Il y avait des prises live, puis des sessions avec juste les percussions, ou des instruments plus étranges. L’immersion était totale, c’était passionnant. Marc a assuré le dérushage des matinées d’orchestres, et ensuite le scénario s’est écrit au fil de nos échanges et coup de ciseaux. Le plus fou, c’est que c’est sorti en vinyl dans le coffret collector chez Deutshe Grammophon ! Une folle aventure, l’enregistrement de la musique d’un film mais sans les images, d’ailleurs l’orchestre ne voyait pas les images !

LE SON AVANT TOUT

J : Tu cherches vraiment faire tout passer que par le son, il n’y a pas d'images. C’est quelque chose que tu n’expérimenteras pas, par la suite ?

B : Non car je trouve que l’image prend le dessus, et le cerveau est moins disponible pour le son. Le fait de voir casse la part de rêve. Dans le « Pomme En Sac à Dos à l’Olympia », on entend qu'on est dans un couloir, mais il n’y a pas l'image du couloir. Chaque auditeur va se faire son propre couloir. Pareil par rapport à la scène… Et du coup ils restent attentifs à ce qu'ils entendent. Ça c’était ma phrase quand je refusais la voix off : « le son est le guide, et ses ondes tracent la route ». La voix-off, j’y viens, mais l'image… non.

Pour revenir à ces enregistrements mobiles avec le Voyageur : le nombre de fois où les réalisateurs image étaient après moi, parce que les micros étaient dans le champ… Là, je mets mes micros où je veux. Et il n’y a pas de souci de synchro ! Un jour, sur un Live de Raphaël au Zénith, on discute avec le réalisateur image qui me demande s’il y aura des micros d’ambiance, pour le public. D’ailleurs, il faut arrêter de suspendre d’une passerelle des micros d'ambiance, qui vont être très haut au-dessus du public parce qu’il ne faut pas que les lumières tapent dedans, que les caméra les voient… Le résultat la façade tape dedans ! Et, on n’y entend pas la personne qui se marre, qui crie… On entend « hhhhhh ». Alors que si l’on place un micro au niveau de la régie, on est vraiment dans le public.

Le Set up du StudioSacàDos de Maelle

J : C’est la différence entre un enregistrement professionnel et un Live Pirate par exemple, qui pouvait avoir pris du public.

B : Exactement. Ce réalisateur me dit qu’il rêverait de tourner un jour un concert sans voir les micros. Et moi je lui réponds que je rêve d'enregistrer de la musique sans caméras. Et c'est ce que je fais tous les jours, ça s’appelle un Album. Ça n'était pas très intelligent… Mais donc : pas d'image.

J : Je mets mes micros ou je veux, et souvent c’est dans le cadre.

B : Pareil, lors des sessions acoustiques filmées dans des endroits un peu étranges ou il fallait un bon son… si il y a par exemple un filtre anti-pop sur le micro : ça les rend dingue ! Donc un jour je me suis retrouvée à Saint-Denis, dans un lieu désaffecté, une ancienne salle de classe, à enregistrer Maëlle (qui avait fait The Voice). Pour la voix j'avais pris le fameux U87 des studios Barclay. Je trouvais ça très joli, sur un pied droit en plus de son son de ouf… Je pensais quand même à l’image ! En arrivant, je découvre avec effroi, qu'il y avait un plan séquence : au début, Maëlle est assise sur un siège, puis se lève et va rejoindre son pianiste, pour chanter derrière le U87. Je n’ai pas de perche - et je peux pas percher, car je serai dans le champ. Et toute façons ça va faire une trop grosse différence de son. Et là je lui ai mis un F1, avec le micro-cravate. Il est planqué, on ne le voit pas… Le fait de la voir sans micro au début, le cerveau intègre le fait que ça ne soit pas le même son que quand elle se met derrière. Mais ça peut être intéressant de l'écouter sans l’image. C'est en ligne sur le Youtube de l'artiste, et j'ai vu qu'il y a eu 2 Millions de vues. Pour un StudioSacàDos… c’est cool ! Cet enregistrement-là, je l'ai fait avec un F1 et un F8. Tout simplement.

Maëlle - "L'Effet de Masse" sur YOUTUBE

ÊTRE AU SERVICE DE LA MUSIQUE, HORS CADRE

Vincent Delerm pendant l’enregistrement du 104 à l’Olympia en Sac à Dos

J : Il me semble que ta devise est « un bon instrument, un bon placement micro, un bon choix de préampli pour agrandir le terrain de jeu au mixage ». Est-ce que tu t’y retrouves lorsque tu pars en nomade avec des enregistreurs portables Zoom ?

B : Complètement ! J’ai une nouvelle devise d’ailleurs : « Enregistrer, mixer, découvrir, guider, construire, rêver, casser les codes, et innover. Être au service de la musique, hors-cadre ». C'est la même idée, adaptée à l'évolution de la technologie. On peut obtenir quelque chose d’exploitable avec un smartphone. J’ai fait des expériences assez folles avec Vincent Delerm (sur la photo, à gauche). C’est marrant, StudioSacàDos fait vraiment parti de notre rencontre avec Vincent, c’était pour un hommage à William Sheller, l’idée à cette époque était de proposer aux artistes de jouer un titre de Sheller de leur choix sur le piano de leur choix, le rêve d’un StudioSacàDos, donc en 2018 , je me retrouve chez Vincent pour enregistrer le titre. Je prends le F8 qui me sert d’interface et des " Microphone-Part", des micros que construit Dominique. Vincent enregistre les voix dans sa douche, on se marre bien. Ensuite, je mixe son premier film - une première pour moi aussi !

Bénédicte pendant l’enregistrement de la Cigale de Vincent Delerm

Et j’ai adoré l’expérience. Il me propose alors de faire avec lui la bande son de son prochain spectacle. Enregistrement au Labomatic, puis en nomade lors de la création au 104. Naturellement, je me retrouve sur les dates de la Cigale pour enregistrer les concerts, la « Vie Varda » en est issu. C’est du pur Multizoom ! Deux F8 qui récupèrent le signal analogue via les aux de la console, un F1 avec les MS en fond de salle dans la cabine de promo, et un à l'avant scène avec le XY. Et, en bonus, un autre XY en régie sur un des deux F8. Avec les re-confinements, ce voyage sonore a duré jusqu’au dernier Olympia. Après la cigale, c’est un joyeux mélange de voix de Vincent faites en notes audio, des Mp4 convertis dans la session en 24/48, des extraits de concerts que je chope sur youtube… et ça marche ! Le résultat est assez hybride, une photo sonore de cette étrange période. Il y a eu un moment où j'aimais bien mettre tous ces objets que j’ai dans mon sac à dos, un peu partout. Maintenant, moins j’en mets… mieux c'est ! Je sais ce dont j’ai besoin, et la couleur sonore que je veux obtenir. J’ai découvert il y a peu les F2… c’est absolument génial ! C’est encore plus discret dans une poche, et les gens l’oublient. Ça me permet d’être de plus en plus créative avec tous ces outils.

H1 de première génération

J : Ce qui compte, c'est surtout d’être au bon endroit, au bon moment ?

B : Oui, et surtout de savoir ce qu’on veut faire. Même le petit H1, que j’appelle « l’ancêtre » : je l'utilise toujours ! C'est le genre de truc à poser dans une loge, que les gens l’oublient instantanément ! Il m'est même arrivé, sur un « StudioSacàDos » à l'Olympia avec Magenta et Ottis Cœur, de prendre la sortie console avec un H1. J’ai un mini-jack avec deux XLR femelles, et ça marche. Il faut simplement faire attention au gain…

J : Les consoles pro envoyant pas mal d’énergie électrique ?

B : Oui et non, sur les sorties de consoles, les ingés ne travaillent pas obligatoirement très fort. Lorsque j’ai saturé l’entrée, c’est que je suis allée trop vite, je n’ai pas fait attention. Etonnamment, quand je récupère des flux multipistes, je vais mettre +10 dB les sur les régions pour pouvoir travailler. On a pas du tout le même rapport au gain en live, qu’en studio. Les systèmes de diffusion en Live sont tellement puissants… et, je pense que c'est pour garder de la marge.

J : Quand tu as conçu StudioSacàDos, c'était un pari, ou est-ce que tu avais la conviction que tu arriverais à y rentrer tout ce dont tu aurais besoin ? Tu savais qu’il ne te manquerait rien, et qu’en qualité ça irait bien ?

B : Je n'étais vraiment pas inquiète… et il s’agissait aussi de faire du son avec ce que je pouvais emporter. Se débrouiller avec ce qu'on a, je trouve ça super important. Et puis j'ai la chance de partager la vie d'un grand geek ! On s’offre des cadeaux assez étranges : Dominique peut avoir des synthés modulaires pour Noël… et moi j'ai eu un F8 pour mon anniversaire ! C'est un super beau cadeau… c'est comme ça que s'est constitué StudioSacàDos. Je pense que Dominique avait aussi conscience que j’avais besoin de retrouver cet amusement, que j’avais peut-être un peu perdu… Il savait qu'en me mettant ça dans les mains, ça allait donner quelque chose. Comme à un musicien à qui tu vas proposer un synthé, et ça va lui donner une idée.

Le truc de bénédicte : une boule de relaxation pour poser et orienter son F8 vers soi !

LA PRÉPARATION DU SAC A DOS

Le contenu du sac à dos de Bénédicte, avec du Zoom en pagaille !

B : Lorsque je prépare mon sac, je choisis d’abord mes machines. Il y a le F8, le H8, le fameux H1 que j’appelle « l’ancêtre » – je l'ai utilisé sur la carte au pianos aussi ! Également, j’ai deux F1 et un Q2n-4K, qui ont beaucoup tourné. Plus récemment j’ai ajouté à mon arsenal des F2, ainsi qu’un F3 et même un H3 pour les captations ambisoniques et libérer des pistes sur le F8 et H8

Côté micro, j’ai du choix, entre les capsules XHY-6, XYH-5, MSH-6… Et bien sûr j’ai un grand choix de micros avec le studio, que je peux emporter selon mes besoins.

Une fois que j'ai choisi le matériel, je passe aux batteries ; je prends un chargeur, pour pouvoir remettre vite en charge, et des batteries en USB-C. J’ai une grosse batterie pour le H8, d’autres, plus petites pour le F1, d’autres encore plus petites pour les F2. Je conseille de prendre des batteries type « chargeur de téléphone », qui sont économiques et marchent très bien ! A cumuler avec des piles, en backup.

Après les batteries, les alimentations et les câbles, je prépare des fixations en tout genre comme le HS-1, MA-2 et une pince micro, une tête pivotante, des HRM-11

J'ai pris l'habitude de mettre mes appareils dans des petites trousses. Si je mets tout dans la grande trousse, c'est là qu'il peut y avoir un accident. D’où ces trousses plus petites, en mousse. Franchement, mis à part un micro que j'ai écrasé car un jour, j'ai fini tard et j’ai tout mis dans ce grand sac et j’ai mis un truc lourd dessus… Je n’ai pas d’accidents à déplorer. Des pinces micro, peut-être, mais là aussi : j’aurais dû mieux les ranger !

Bénédicte alimente son F2 avec une batterie externe type "chargeur de téléphone"

Bénédicte alimente son F2 avec une batterie externe type "chargeur de téléphone"

Bénédicte alimente son F8 avec une batterie externe de caméra vidéo

Bénédicte alimente son F2 avec une batterie externe de caméra vidéo

LA CARTE AUX PIANOS

Le F1 sur la Carte aux pianos

B : Suite au festival « variations », Cyril Jollard, depuis promu directeur de « La Soufflerie » à Rezé (à côté de Nantes), me propose de réaliser une cartographie des pianos de la ville. En cliquant sur un piano dessiné sur cette carte, on accède à un podcast qui lui est dédié. Ce podcast permet d’entendre le piano, joué le plus souvent par la pianiste de jazz contemporain Ève Risser, mais aussi par les gens ont répondu à l’appel. L'idée est de « faire le portrait » de chaque piano. Eve interviewe les propriétaires, qui lui racontent l'histoire de leur instrument : comment il est arrivé chez eux, si c’est un piano de famille, quelle place il occupe dans le foyer… Il y a des histoires assez folles, avec des pianos qui ont été trouvés dans la rue, ou qui racontent la passion d’un enfant pour l’instrument… Des histoires de vie, de passions avec comme acteur principal le son des pianos de nos hôtes.

L’enregistrement s’est fait sur 3 jours, avec 4 à 6 rendez-vous par jour ; des entretiens de 1 heure qui s’enchainaient - il fallait s’installer très vite. Dès qu’on sonnait, il fallait enregistrer immédiatement pour ne pas manquer le début, qui, parfois, était le plus intéressant. Il me fallait un équipement ultraléger ; j’ai utilisé deux zoom F2 (un sur Eve, et un que je mettais dès notre arrivée sur la personne qui nous accueillait, afin de capter les dialogues). Également, j’avais mon F1 sur le monopode avec le micro XY, et un second F1 avec, en fonction des lieux, un XY ou la capsule Mid-Side (pour capter des lieux assez grands, ou bien pour « pointer »). J’avais aussi dans mon sac mon H1, et le Q2n, qui pouvait être intéressant selon l’acoustique de la pièce.

Eve Risser et Bénédicte en action

Eve Risser et Bénédicte en action

Ce qui m'intéresse avec le Q2n c'est son côté compact, que tu peux poser dans un coin… il offre énormément d’autonomie, et des réglages tout faits genre « concert » : il va gérer le volume, il va compresser, c'est très bien. C’était parfois marrant de glisser le Q2n derrière le piano – pour un piano droit, entre la table d'harmonie et le mur.

J’ai également utilisé le H8, car il pouvait m’arriver d’avoir à enregistrer des pianos numériques, récupérés en niveau ligne.

J : Tu avais aussi à enregistrer des pianos numériques ?

B : Oui, ce qu’on voulait dans la carte au piano c'était de ne pas trop se fermer sur le côté classique et le piano de salon. Ça pouvait aussi être des accordéons, des pianos numériques, on a aussi ouvert la porte au balafon, au cymbalum…Et des fois en fonction des pièces quand elles étaient relativement grandes je mettais le SSH-6 sur le H8 en plus.

Niveau synchronisation, utiliser tous ces appareils différents n’est pas gênant et je constate que sur une prise d’une heure, ça ne glisse pas. Et surtout, avec cet équipement léger, j'avais quand même 16 pistes dans un sac à dos, avec du choix : du Mid-Side, de l’Omni, des entrées ligne… le tout installé en 5 minutes !

VISITEZ LE SITE DE « LA SOUFFLERIE » ET RETROUVEZ LA CARTE AUX PIANOS
Un F1 sur l'enregistrement de "La carte aux pianos"

Un F1 sur l'enregistrement de "La carte aux pianos"

Le H8 pour l’enregistrement de l’Orgue de UCO.

Un H8 pour enregistrer un Orgue dans une église...